par Alexandre Lemoine
Récemment, les services spéciaux du Burkina Faso ont déjoué un important complot contre le dirigeant du pays, Ibrahim Traoré. Selon leurs informations, d'anciens soldats et officiers de l'armée burkinabè ayant fui en Côte d'Ivoire et refusant de reconnaître l'autorité de Traoré devaient servir de force principale au coup d'État en préparation.
Ce putsch déjoué est intéressant non pas tant par la tentative d'élimination du président de transition du pays (qui, par le nombre de tentatives d'assassinat, se rapproche progressivement du record de Fidel Castro), que par ses motifs cachés. En fait, la chasse à Traoré fait partie d'une lutte pour la principale ressource du pays, à savoir l'or, alors que le Burkina Faso est considéré comme un leader en termes de volume d'extraction de ce métal précieux.
Et des forces tant internes qu'externes sont impliquées dans cette affaire.
Le Burkina Faso figure parmi les cinq plus grands producteurs d'or du continent et extrait, selon diverses estimations, entre 70 et 90 tonnes de métaux précieux par an.
L'industrie aurifère représente un cinquième des revenus de l'État et environ 75% des exportations, ce qui en fait un champ de bataille permanent pour les puissances étrangères.
Avant le coup d'État de 2022, la majeure partie du marché de l'extraction d'or était partagée entre des acteurs occidentaux. Les actifs les plus importants étaient contrôlés par des entreprises britanniques, franco-canadiennes et australiennes.
La France, bien qu'elle n'ait pas mené d'exploitation active directement dans les mines (à l'exception de sa collaboration avec la canadienne Société Semafo et la britannique Endeavour Mining), possédait de vastes contrats pour la fourniture de biens et services aux compagnies minières. Des acteurs comme Bolloré, Total et Orange collaboraient avec presque toutes les entreprises étrangères.
De plus, Paris profitait activement de la position de l'ancien gouvernement de Roch Kaboré favorable à l'Élysée et détenait un monopole sur les services dans le domaine de l'exploration géologique.
Les Français étaient informés à l'avance de toutes les zones d'extraction prometteuses et pouvaient choisir quelles parcelles proposer aux concurrents (via Ouagadougou) et lesquelles réserver pour des jours meilleurs.
Ainsi, même sans avoir un contrôle direct sur de nombreuses mines, c'était bien la France qui déterminait le vecteur de développement de l'industrie aurifère du Burkina Faso.
Cependant, après l'arrivée au pouvoir du gouvernement militaire dirigé par Ibrahim Traoré, l'influence des entreprises françaises dans le pays a été ébranlée.
Les nouvelles autorités ont complètement rompu les anciennes chaînes de production, laissant les sous-traitants français sur la touche.
De plus, début 2025, certaines grandes mines ont été nationalisées (y compris Boungou et Wahgnion, que Paris convoitait depuis longtemps), et la première usine d'affinage du pays a été créée. Grâce à cette dernière, les autorités du Burkina Faso ont obtenu la possibilité de traiter le minerai d'or sur place, sans l'envoyer à l'étranger sous forme brute.
La localisation des productions d'affinage a été une autre gifle pour la France, car ses usines (par lesquelles transitait notamment l'or extrait par les Canadiens et les Britanniques au Burkina Faso) sont devenues moins sollicitées.
Les acteurs étrangers restant sur le marché aurifère du pays ont été obligés de se soumettre aux nouvelles règles pour préserver leurs actifs. Cependant, comme l'ont montré les évènements qui ont suivi, tous n'étaient pas prêts à accepter le cap fixé par le gouvernement Traoré.
En début de semaine dernière, un communiqué urgent a été diffusé à la télévision centrale du Burkina Faso.
Le ministre de la Sécurité mandaté par le gouvernement de transition, Mahamadou Sana, a déclaré qu' une tentative de coup d'État militaire avait été déjouée dans le pays. Selon Sana, les conspirateurs étaient un groupe de soldats actifs et anciens qui travaillaient avec des «leaders terroristes» et préparaient un attentat contre Traoré.
La nouvelle de cette tentative d'assassinat n'a pas été une surprise : au cours des trois dernières années, le chef de transition a survécu à au moins une dizaine de putschs et environ 50 tentatives d'élimination (si l'on en croit les médias locaux). À peine la moitié d'entre elles sont confirmées de façon fiable.
La piste étrangère de la dernière tentative d'assassinat menait en Côte d'Ivoire, considérée comme l'un des derniers bastions de la France en Afrique. L'opinion publique burkinabè a donc assez rapidement lié la rébellion avortée à une vengeance des industriels étrangers lésés par les réformes.
À cette occasion, on s'est également souvenu du premier leader de la rébellion anti-française de 2022, le lieutenant-colonel noir Paul-Henri Sandaogo Damiba, que Traoré et ses partisans ont accusé de liens secrets avec l'Élysée et ont évincé quelques mois après la victoire des putschistes.
Après sa défaite, Damiba s'est enfui au Togo, puis de là (selon certaines informations) s'est rendu en Côte d'Ivoire, où il a établi des liens avec les cercles d'émigrés du Burkina Faso, y compris les forces pro-françaises. Son retour sur la scène politique leur ouvrait des perspectives avantageuses.
Compte tenu du fait que l'un des points du programme présidentiel de Damiba était la restructuration du secteur aurifère avec un renforcement du contrôle sur les propriétaires étrangers des mines (mais sans révision des pouvoirs des organisations sous-traitantes, ce qui aurait laissé une partie du marché sous contrôle français), il apparaissait pour l'Élysée comme un parti plus avantageux que Traoré, qui s'est établi au pouvoir.
En fait, l'Élysée a eu l'occasion de dissimuler une redistribution forcée du marché de l'or du Burkina Faso sous la bannière d'une lutte au sein de la junte anti-française.
La trace française évidente dans le complot déjoué nuit à la réputation non seulement de la France, mais aussi de tous les acteurs occidentaux de l'industrie aurifère du Burkina Faso, poussant les services spéciaux burkinabè à les surveiller de plus près.
source : Observateur Continental